photographie de reportage
La ville est une jungle où les enfants sont nus. La mégapole, chantier perpétuel, toujours en projet, toujours inachevée, entretient un chaos éternel vers un avenir sans cesse repoussé. Le camion est un monstre de ferraille, bétonneuse ou citerne. Il est recouvert de cambouis, de graisse, de stigmates industriels. Ses appareils illisibles laissent couler une fontaine, eau claire qui suinte d’une machine compressée. Les immondices s’accumulent aux pieds de l’enfant. Le trottoir est couvert de crasse urbaine. Le petit garçon est chez lui dans ce désordre. Il ne voit ni la saleté ni la laideur. La machine se sert à boire avant l’homme. Priorité aux constructions, aux combustions, aux productions. CAMBODGE – L’ENFANT AU CAMION L’enfant, surgi du labyrinthe, récupère l’eau comme un déchet. Il passe après le progrès, après l’urgence des grands immeubles. La ville croit sans cesse à la manière d’une forêt. Les tours grandissent comme des arbres. Derrière l’écorce huileuse et noire de la grosse bête en fer se cache un peu de sève. Quel triomphe pour l’enfant que de puiser à la mamelle mécanique de quoi vivre, de quoi apporter un peu d’eau à sa mère. Quand le petit d’homme sera parti, le camion continuera de suer, exhalant le trop-plein de son travail. Dans cette usine à ciel ouvert, l’enfant aura su dénicher les gouttes qui lui ressemblent, la vie qui ruisselle, aussi nue que lui.
texte de Jean-Luc Coudray