Un photographe sur la route
Un photographe sur la route
Vagabonder sur la route et pourquoi pas faire des photos
Très loin des photographies de mariages! Mon métier de journaliste à cet attrait, ces variations d’ambiance, de pays,autant de rencontres que j’aime à partager! Je suis disponible pour tous vos évènements d’avril à Octobre…Le restant de l’année…Quasiment certain de me retrouver loin d’ici:) N’attendez plus, contactez moi pour votre reportage…
Les documents de police qui sont parvenus jusqu’à nous attestent que tout au long de la grande époque du pèlerinage, un bon tiers des pèlerins est incapable de donner une précision sur sa destination. Beaucoup semblent s’être installés dans un vagabondage sans fin, situation qui vaut au pèlerinage d’être frappé de suspicion. Trop d’individus se soustraient par son biais à l’autorité des parents ou à l’obligation sociale qui impose implicitement à tous de travailler. Les législations successives expriment toutes la nécessité de faire la distinction entre le statut de pèlerin et celui de vagabond, ce dernier restant de tout temps voué aux pires sanctions.
Ce reportage, commandé par Fleurus depuis pas mal de temps était également l’occasion de ce retrouver, de confronter des époques differentes, des rythmes totalement hors norme…1600 kms de marche, de rencontre, un reportage photographique loin de la productivité et des agitations du monde.
- Saint-Jacques-de-Compostelle
Le pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle illustre par un acte fort et depuis plus de mille ans la vitalité du monde chrétien occidental. Désertées pendant quelques siècles, les routes de Compostelle renouent avec un engouement plus que jamais d’actualité. Nous sommes partis relever les indices présents et passés d’un itinéraire puissamment chargé de ferveur, un parcours mystique où les témoignages humains et architecturaux abondent. Nous y avons rencontré des hommes, pénétré leurs croyances, leurs symboles, et revisité l’histoire d’un chemin de pèlerinage emprunté par des millions d’entre eux depuis le Moyen Âge.
Tous les chemins ne mènent pas à Compostelle. Nous empruntons le plus usité, depuis le cœur de la ville du Puy-en-Velay jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, au bout du bout de la Galice, tout près du cap Finisterre. Pour rejoindre le centre de la France au point le plus à l’ouest de toute l’Europe, il faut arpenter plus de mille cinq cents kilomètres de chemins creux. Deux mois de marche où l’on ne croise personne car tous convergent vers un seul but, atteindre la basilique et saluer à sa manière les reliques présumées de l’apôtre Jacques.
Au bout de la route, après avoir vaincu la fatigue et s’être débarrassé de la poussière, nous en saurons un peu plus sur ce qui poussait et pousse les hommes à quitter leur maison, à se déraciner provisoirement et partir sur des routes improbables dans l’espoir caressé de comprendre d’où ils viennent… et où ils vont. Les quêtes et les pèlerinages seraient avant toute chose liés à notre condition humaine : essayer de retrouver celui ou celle qui nous a un jour débarqué sur cette terre en nous donnant les clefs de l’amour mais pas celles de l’immortalité.
Sac sur le dos, lacets ficelés par un double nœud, bâton de pèlerin en main, prêts à mettre un pied devant l’autre et à recommencer, Santiago, nous voici !
- LE PUY-EN-VELAY
Il est encore tôt et les portes de la cathédrale sont closes. Malgré le calme apparent de ce petit matin d’été, une agitation à peine perceptible depuis le parvis fait vibrer l’air et témoigne d’une singulière effervescence. Une rumeur joyeuse parvient vers l’extérieur depuis les lourds ventaux de l’édifice et, à qui sait entendre, les murs de la cathédrale résonnent d’une liturgie particulière. Il est 7 heures 30 du matin et nous sommes au début du mois de juillet, le soleil qui caresse les toitures et les statuaires de pierre promettent déjà une journée caniculaire.
Enfin, les portes de la cathédrale, franchies par tant de souverains et de princes, s’écartent lentement et une musique religieuse s’épanouit vers l’extérieur. Ce chant de sortie, qui indique la fin de la messe, signale aussi le début d’une grande aventure. Des pèlerins en partance, ayant reçu à l’instant la bénédiction du prêtre, sortent de l’édifice et se regroupent sur le parvis. On les appelle Jacquets, Jacquots, Jacquaires, Jacots et ceux qui avaient déposé leur bagage et leur bâton de pèlerin contre le mur du fond de l’église les reprennent en sortant. C’est ici et maintenant que commence leur pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.
À âme vaillante, rien d’impossible ; l’aventure qui s’ouvre devant leurs pas s’annonce rude et ce n’est pas par manque d’un enthousiasme perceptible sur le parvis que beaucoup n’iront pas jusqu’au bout. Du moins pas cette année ! La plupart morcelle l’itinéraire et ajoute chaque été une étape supplémentaire à leur carnet de pèlerin. Pragmatisme : la quête d’un mysticisme moderne s’accorde avec l’exercice d’un emploi et le départ en pénitence coïncide le plus souvent avec les congés payés.
Carnet de notes et topo guide du GR 65 en mains, nous joignons nos pas aux leurs. Mille six cent kilomètres de marche à pied, il paraît que ça use les souliers, d’autres disent que ça affûte l’esprit.
Bénédiction du prêtre :
« Reçois cette besace en signe de ta pérégrination pour qu’ayant mérité ton salut par ta pénitence, tu parviennes au but de ton vœu de pèlerin. Reçois ce bâton, qu’il te fasse vaincre les embûches de l’ennemi et parvenir au but. »
- SAINT-ALBAN- SUR-LIMAGNOLE
Selon l’Evangile, Jacques le Majeur, frère de l’apôtre Jean et chouchou de Jésus, fut décapité dans sa Judée natale après avoir passé une partie de sa vie à évangéliser la péninsule ibérique. Une légende raconte que sa dépouille fut ramenée en Espagne par la route maritime, sur une nef de pierre, guidée, comme il se doit, par des anges. Une fois abordées les côtes de Galice, non loin du cap Finisterre, le corps du supplicié fut porté vers l’intérieur des terres avant d’être inhumé en un lieu appelé champ de l’étoile (Campus stellae : Compostelle).
En l’an 830, deux bergers, guidés par une étoile, découvrent un sarcophage contenant des reliques. De cet instant, naît un mythe qui fait sensation dans toute la chrétienté. De ce mythe grandit une bourgade au cœur de laquelle on élève une basilique. La nouvelle à peine répandue, les premiers pèlerins se mettent à affluer. Le roi des Asturies, Alphonse II, doit faire agrandir la basilique. Celle-ci devient cathédrale. Dans la foulée, la ville se dote d’une université qui fait d’elle la capitale culturelle de toute une région et le centre spirituel de l’Espagne tout entière. Compostelle, dont les moins croyants prétextent que l’origine étymologique de son nom provient du mot cimetière, est aujourd’hui une cité à l’aise dans son époque : sa pieuse destinée cohabite sans complexe avec le modernisme d’une grande ville estudiantine. L’Espagne a de l’appétence pour les festivités nocturnes et Compostelle « by night » n’est pas une légende.
- ESPALION
L’an Mil vient d’être célébré, les hommes vivent dans un cadre rural, au cœur de grands domaines
hérités des Romains et alors qu’ils attendent le retour promis de Dieu sur Terre, rien ne se passe. Persuadés d’être eux-mêmes des créations divines et ne concevant le monde que comme un espace magique dont seul le clergé possède les clefs, ils commencent à avoir des soupçons sur la manière dont ce dernier assure la religion (du latin religio, religare : relier). Les châtiments divins qui s’abattent sur eux les font douter de la qualité de ce lien, et deviennent prétextes à rechercher un salut plus proche des enseignements originels. D’autant que les excès des ecclésiastiques ne font qu’envenimer le sentiment de suspicion ; le partage des ressources semble obéir à une stricte loi : aux hommes de Dieu les richesses, les bombances, fornications, vices et autres trafics, au reste du monde la famine, la misère, les invasions, les troubles et les épidémies. Même si un dixième des revenus de l’Eglise est consacré aux besoins des pauvres, la misère est grande et la maladie comme la disette hantent les esprits du plus grand nombre. Les hommes vont progressivement investir par eux-mêmes la relation à Dieu, se montrer davantage acteur de leur propre croyance.
Pourtant, jusqu’au Xe siècle, malgré la nouvelle fascination exercée par Compostelle, de nombreux pèlerins se contentent de partir pour Rome ou Jérusalem. Le premier pèlerin reconnu, l’évêque du Puy-en-Velay, Mgr Godescale, ne prend la route qu’en l’an 950, un siècle après la découverte des restes de l’apôtre. Loin de revêtir la simplicité requise à celui qui s’adresse à Dieu, il s’encombre d’un cortège de barons, d’ecclésiastiques et de troubadours et s’entoure d’une escorte militaire éloignant tout danger. On imagine le tout, paradant davantage que chevauchant, sur des chevaux ou des mulets lourdement caparaçonnés. Après lui, nobles et riches, prennent l’habitude de voyager en grand équipage. D’autres, moins téméraires mais tout aussi fortunés, font leur pèlerinage par procuration et se contentent d’envoyer un messager. C’est ce que font Louis XI, Blanche de Castille ou bien encore Jacques Cœur (indisponible pour cause d’emprisonnement). Parmi les grands de ce monde, seul Louis VII fait le voyage. Si pour les plus aisés, garder son rang consiste en une sorte d’hommage rendu à l’Apôtre Jacques, les plus humbles se risquent sans protection sur des routes peu sûres où sévissent mille dangers : loups, détrousseurs, pillards, ribaudes, routiers, vagabonds, déserteurs, sans emploi, faux guides, arracheurs de dents, vendeurs de remèdes contre les serpents, faux péages, bateliers malhonnêtes ou coquillards (voir plus loin).
Avant de partir, chacun rédige son testament, se procure des recommandations auprès du curé, se confesse et guette l’arrivée des beaux jours. Il faudra être de retour avant les vendanges ou les récoltes de la fin de l’été, et pendant le voyage, on pourra profiter des basses eaux pour traverser les rivières.
Malgré les complications et les dangers, rien n’arrête la passion. Saint-Jacques-de-Compostelle devient rapidement la principale destination de l’Occident chrétien. On prête au saint la capacité d’accomplir des miracles de guérison et sa réputation qui ne cesse de croître attire toujours plus de croyants. On y vient depuis toute l’Europe et même au-delà, convergeant vers des lieux de regroupements à partir desquels plusieurs chemins conduisent les pèlerins vers l’Espagne. Tout est prétexte à venir s’agenouiller devant les ossements présumés de saint Jacques : accomplissement d’un vœu personnel, remerciement pour une guérison ou bien quête de celle-ci, garantie d’une météo clémente (nous sommes au Moyen Âge, et la survie dépend en grande partie des récoltes), voir naître un fils, obtenir une grâce de justice, ou simplement s’assurer le salut de son âme dans l’au-delà. Il arrive aussi qu’une paroisse mandate des pèlerins, comme à Perpignan en 1482, pour obtenir la fin de la peste. A la belle saison, plus de mille pèlerins traversent chaque jour les villages.
L’effervescence durera jusqu’au XVe siècle. Mises à mal par les guerres de religion qui rendent les déplacements dangereux, la dévotion faite aux saints et la superstition médiévale ne survivront pas au nouvel esprit de la Réforme et des Lumières. Luther se prononcera contre les pèlerinages et Erasme dans son Eloge de la folie s’indignera : « Il faut être fou pour aller à Saint-Jacques ! ».Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que le pèlerinage ressuscite. En 1987, le Conseil de L’Europe attribue au pèlerinage vers Saint-Jacques le titre de premier itinéraire culturel de l’Europe. Aujourd’hui il est classé Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.
- L’HOSPICE D’AUBRAC
Fondé en 1120 par le comte d’Adalard, l’hospice d’Aubrac témoigne de l’importance des dons qui pouvaient être faits pour honorer saint Jacques. Réchappé par miracle d’une embuscade alors qu’il est en route pour Compostelle, le comte formule le vœu de créer à son retour un hôpital destiné aux pèlerins. Rappelé à l’ordre par Dieu sur le trajet qui le reconduit chez lui, il fait bâtir au point le plus élevé et le moins accessible du plateau d’Aubrac, une imposante domerie (une domerie était une sorte d’hôpital) dans laquelle 12 prêtres, 12 dames, 12 moines augustins et 12 chevaliers allaient vivre à demeure. A la fin du XVe siècle, on estime qu’entre 50 et 100 personnes s’arrêtent chaque jour à l’hospice. Pendant la belle saison, les pèlerins étaient autorisés à y passer une nuit, et cela pouvait aller jusqu’à trois en hiver.
Pour cette étape, nous rattrapons Pascal et Florence, des amis du Vaucluse. Leur petite fille de quatre ans est du voyage, ainsi que Napoléon, une mule efflanquée pour qui cette route est une habitude familiale, puisque c’est traditionnellement sur le dos de cet aimable ongulé que les ecclésiastiques, dûment autorisés par leur évêque à quitter leur paroisse, parcouraient le chemin. Les crottins de notre sherpa du jour rivalisent avec les balises rouge et blanc spécifiques aux chemins de grande randonnée pour guider les pas de nos éventuels poursuivants. Quant à nous, pas de danger, il parait que si on se perd, il suffit d’attendre la nuit et de s’orienter vers la voie lactée.
- Le vêtement du pèlerin :
Les hommes portent une robe assez courte recouverte d’un chaperon qui s’ouvre de plus en plus sur les épaules, c’est le mantelet. Progressivement il devient une cape : la pèlerine.Le chapeau (sombrero bello), fait d’un cuir souple ou de feutre, est relevé sur le front.Aux pieds, on porte des sandales ou des brodequins, au moins au début du trajet. Beaucoup terminent nus pieds, pas seulement par pénitence, mais simplement à cause de l’usure de leurs souliers.La besace de cuir contient les vivres, le passeport (la Compostelle) et les attestations du curé.Le bourdon est un bâton ferré idéal pour la marche et faire fuir les chiens. A l’aller on y accroche la gourde. Au retour, on y joint une coquille Saint-Jacques.
- Pour ne pas se tromper :
Les quatre départs sont eux-mêmes des centres de pèlerinage importants, lieux culturels et religieux qui attirent les foules. Leurs chemins filaient (plus ou moins) droit vers l’Espagne et se rejoignaient à Puenta la Reina, de l’autre côté des Pyrénées. Certains pèlerins choisissaient une variante de la via Turonensis et partaient du Mont-Saint-Michel. Leur route ne quittait pour ainsi dire pas le littoral atlantique mais obligeait à la traversée redoutée de la Gironde.
1 : Via Tolosana ou via Egidiana : départ Arles, Espagne par le col du Somport.
2 : Via Podensis : départ du Puy-en-Velay.
3 : Via Turonensis : départ de Tours, traversée de la Gironde, les Landes puis Ostabat. Une certaine Mme Paulmier, habitante riveraine de ce chemin, inventa un jour, à l’intention des pèlerins, un gâteau en forme de coquille boursouflée. Elle lui donna son prénom, Madeleine, et ignorait qu’elle ferait plus tard les délices d’un certain Marcel Proust.
4 : Via Lemovicensis : départ de Vézelay, puis Limoges.
Selon certaines études récentes, il n’y avait pas une route… mais une multitude de routes et de ramifications. Il semble même qu’on aurait mis bout à bout des chemins qui menaient à des pèlerinages locaux. Le guide du pèlerin, rédigé par Aimery Picaud au XIIe siècle sur la base duquel nous avons étayé notre parcours, ne serait connu que depuis sa traduction en 1938 et totalement ignoré précédemment.
Aimery Picaud, moine natif du Poitou, rédige son Carnet de voyage entre 1110 et 1140. Son récit fait partie d’un ensemble de textes appelés Codex calixtinus, dont un manuscrit est conservé à Compostelle.
- CAHORS
Au Moyen Âge, à peine sorti de l’Antiquité chrétienne, on accorde une forme de dignité aux pauvres. Ceux-ci sont considérés comme l’incarnation du Christ souffrant sur la croix, et bénéficient d’un regard bienveillant de la part des plus nantis. Faire l’aumône à un démuni permettait de gagner des faveurs pour le Paradis. Commerce équitable : le pèlerin, détaché des biens matériels et des affections du monde, peut prétendre momentanément assurer son existence par le don de nourriture fait par d’autres. Pour autant, sa dépendance est relative, il n’est ni un vagabond, ni un mendiant, et bénéficie d’un statut qui le place dans une parenthèse bien particulière.
Pas besoin d’être fortuné pour se lancer sur les chemins. Pendant la première moitié du XIIe siècle, période suscitant le plus d’engouement pour le pèlerinage, beaucoup quittent famille et chaumière. Pas mal meurent en route, la plupart reviennent fortifiés. La route est dangereuse et incertaine, mais les témoignages de pèlerins font état d’un esprit bien éloigné de la contrition dont on les affuble. Les paysages enchanteurs que nous traversons l’étaient tout autant voici mille ans, et à n’en pas douter, tous ceux qui sont passés ici ont pris plaisir à l’aventure et à la découverte. Les chants et les récits parvenus jusqu’à nous témoignent de cette joie qui habite les prétendants au départ. A tel point que si le pèlerinage reste aux yeux de certains la pénitence et le geste de piété, il est aussi pour les plus jeunes une forme d’évasion, un moyen de découvrir le monde, de « veoir pais » tel qu’on le prononce à l’époque médiévale.
Sous François Ier, une police des vagabonds est créée. Sous Louis XIV, certains pèlerins, confondus avec des mendiants et n’ayant pas su justifier d’un domicile, se voit expédier aux galères, ou enfermés dans des prisons, on peut aussi les enchaîner deux par deux à creuser des canaux.
La passion du Christ ne peut expliquer cet engouement pour le pèlerinage. Si tant de gens se retrouvent sur les routes c’est qu’ils vivent à une époque où politique et religion sont intimement liés. Compostelle doit un peu de sa notoriété aux intérêts des alliances diplomatiques qui se nouent. Ce n’est pas un hasard si saint Jacques, renommé pour la circonstance « le Matamore » (celui qui tue les Maures) est présenté comme le sauveur de la chrétienté, patron de l’Espagne face aux invasions musulmanes ou à la montée de l’éréthisme cathare.
- MOISSAC
Au fil des jours, le corps s’adapte à l’effort et les kilomètres s’égrènent sans qu’on y pense. Le chemin serpente entre les clairières, les bourgs, les abbayes. Il s’écarte d’un passage pourtant ombragé pour obéir de manière imprévisible au relief du terrain, mais, bonne surprise, forme une halte inespérée auprès d’une fontaine de pierre séculaire. Les préoccupations des derniers mois laissent place à des perspectives optimistes. Surproduction euphorisante d’endomorphine due à l’effort sportif disent les uns, effets élémentaires de la rencontre avec Dieu pensent les autres. Peu importe, un pas chasse l’autre et les jours se succèdent en rythme. On sait que nos besoins seront contentés. Aujourd’hui comme hier et comme demain, on trouvera bien de l’eau pour boire, un peu de verdure pour se reposer ; le soleil sera présent et s’il pleut on sera heureux quand même.
- CONQUES : L’abbatiale Sainte-Foy
Nous passons à Conques mais nous n’y dormons pas. Le presbytère qui nous accueille ce soir permet un hébergement pour le moins modique. Ce décor fait de murs recouverts de chaux et d’un lit doté d’un matelas rayé de gris, sur lequel on jette notre duvet pour le transformer en un havre merveilleux, est tout ce dont nous avons besoin. C’est l’heure où on enlève ses chaussures et où on s’allonge tout habillé. Dans les hospitalets médiévaux, les pèlerins secouaient leur manteau devant les cheminées pour en faire tomber la vermine. La saleté a disparu, le passé est dépoussiéré et l’âtre de briques rutilantes de notre chambrée n’a pas vu une allumette depuis des lustres. Mains derrière la tête et talons appuyés contre les renforts métalliques de notre couche, le corps et l’esprit se mettent au diapason. Ni douleurs, ni soucis, c’est ce que les Grecs appelaient l’état de catharsis, on se sent infiniment bien et heureux.
- Le saviez-vous ?
Le Crédencial est une sorte de passeport qui identifie le Jacquet auprès du réseau des hébergeurs. Le Compostella est une certificat délivré au randonneur qui réalise au moins les 100 derniers kilomètres avant la basilique de Compostelle.
Il y a longtemps que nos conversations ont quitté les rivages de nos préoccupations habituelles. Le bavardage est le meilleur passe-temps du randonneur. Tout est prétexte, les souvenirs et les projets se teintent de perspectives philosophiques et le moindre papillon qui passe devient source de dialogue. Disponibles pour observer la nature et deviser de tout, nous le sommes aussi pour les rencontres. Voici justement de drôles de « Jacotins ». Henk et Marika viennent des Pays-Bas ; le pèlerinage, ils le font en deux-chevaux Citroën et si ce ne sont pas les étoiles de la voie lactée qui guident leur route, les informations leur proviennent quand même du ciel via un GPS ventousé sur le pare-brise. Camping à la ferme, petites routes très secondaires et lectures de guides font le quotidien de leur périple. En réduisant le parcours aux seules haltes accessibles par le réseau routier, ils ont davantage de temps pour les visites, pour les bonnes petites tables et pour la sieste nous disent-ils. Péché avoué, à moitié pardonné.
- SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
A Ronceveaux, une pancarte annonce la couleur : Compostelle 787 km. A une époque où les hôtels n’existent pas, où les routes sont des chemins muletiers et où on se protège du froid et de la pluie avec des vêtements de fibres naturelles, au col d’Ibaneta et au monastère de Roncevaux, des cloches appellent les égarés perdus dans le brouillard. Les pèlerins, exténués par une marche d’approche dans des conditions climatiques pour lesquelles ils ne sont pas équipés, peuvent alors espérer se laver à l’eau courante et même prendre un bain. Certains sont à bout de force, leurs brodequins sont en lambeaux et leur état de santé général est calamiteux. On ne traverse pas à pieds la France du Moyen Âge ou de la Renaissance sans encombre. L’hospice de Ronceveaux voulu par le roi d’Aragon et l’évêque de Pampelune garantit quelques douceurs aux pénitents. A 952 mètres d’altitude, sur le versant espagnol du col d’Ibaneta, ils sont attendus par des Augustins et tout est prévu pour eux, l’hospice comprend une grande église, un hôpital, une auberge et… un cimetière.
Le pèlerinage se nomme désormais périgrinacion. Nous voici en Espagne. Espagne dévote et facilement pénitente, Espagne pieuse et définitivement catholique depuis la reconquista (la reconquête) de ses royaumes repris aux musulmans après plusieurs siècles de luttes. Si Tolède est récupérée en 1085, Grenade doit patienter jusqu’en 1492. L’art de la pierre et les pèlerins n’ont pas attendu toutes ces années pour exalter la grandeur du christianisme et l’amour de saint Jacques. Aujourd’hui, de ce côté-ci des Pyrénées, les églises continuent à faire le plein le dimanche et il n’est pas rare que l’on doive assister à la messe depuis le parvis, tant la nef est pleine de monde. En Espagne, si l’on écarte la Corrida et les succès de Fernando Alonso en Formule 1, Dieu reste sans concurrence.
Puenta La Reina assure la jonction de tous les chemins qui viennent de France, désormais, on pérégrine sur le camino francès, le chemin des Français.
- VISCARRET
Ici, on aime les pèlerins, les maisons qui bordent le chemin assurent par leur décor la pérennité du chemin. Toute une économie, une iconographie, une ambiance constituent cette impression qu’un comité d’accueil itinérant accompagne nos pas. Pourtant, ici comme ailleurs, les détracteurs ne manquent pas. Il parait même que le culte de saint Jacques n’est qu’une falsification d’une vérité invérifiable destinée à servir la consolidation d’une Europe catholique. Les reliques sont souvent fausses ou absentes et les contradictions historiques ne manquent pas. La tête supposée de saint Jacques est douée d’ubiquité et plusieurs sites revendiquent d’ailleurs sa possession (c’est le cas de Toulouse ou de Grenoble) A Compostelle même, des fouilles sont régulièrement entreprises pour tenter d’authentifier les reliques. Idolâtrie et sciences archéologiques ne font pas bon ménage. Justement, ce matin, nous partageons un bout de chemin avec un pèlerin d’une grande piété. Nous bavardons de tout et de rien et il finit par nous interroger sur le Mystère : « Si Dieu était visible, ce serait trop facile », nous prévient-il. Puis il disparaît à grandes enjambées et nous laisse seul avec un questionnement renouvelé.
.
- PAMPLUNE
A San Sébastian se vendaient des pierres d’hirondelle. On en portait une sur soi et on ne souffrait ni de la fatigue, ni de la soif, on était protégé des maladies. Le long du chemin, on pouvait aussi acheter des pierres de croix ou des pierres d’aigle, que l’on trouvait, croyait-on, dans des nids d’aigles ( il s’agissait en fait d’oxyde de fer), qui guérissaient des empoisonnements.
En 997, l’Espagne adopte pour cri de guerre : « Santiago y cierra Espana ». Saint Jacques, l’apôtre de la paix, se transforme pour les besoins de la cause en guerrier arrogant. Il devient saint Jacques le Matamore, une sorte de super saint Jacques. Vêtu d’une cuirasse et armé d’une épée digne d’Excalibur, il encourage ainsi les énergies de reconquête. Ce n’est pas inutile, les hommes du sultan Cordouan Al-Mansour sont d’impitoyables guerriers. Ils ont l’audace de piller Compostelle et de raser son église, sacrilège ! ils seront vaincus à la bataille de Calatanazor. On est en pleine Reconquista. Encouragés par les rois, les papes et les abbés de Cluny, les Espagnols se battent et tentent de renvoyer les assaillants d’où ils viennent. En 1118, les Béarnais de Gaston IV dévalent des Pyrénées et les Maures sont vaincus. Le chemin de Compostelle par Léon et Burgos est rouvert. Il est équipé d’hospices, d’auberges et d’églises, les pèlerins peuvent reprendre leur marche.
- ESTELLA
Souffrance de la marche, voûtes plantaires en surchauffe, tendinites, crampes, hanches douloureuses au moment de charger le sac sur les épaules. Nous sommes duel, séparés distinctement en deux, une partie de nous, notre squelette, nos muscles et nos sens, appartient à la nature et nous inscrit dans le monde des animaux. L’autre partie, notre âme et notre système de pensée nous font homme. Nous sommes des animaux doués d’intelligence et de sensibilité, des bêtes de somme en gamberge perpétuelle. Le langage fait le lien de tout, on pense, on s’interroge, on se parle.
On ne marche pas sur les chemins de Compostelle sans s’interroger sur la vie, sur notre passage terrestre et ce qui restera de tout ça. La douleur de la bretelle du sac à dos qui cisaille l’épaule s’oublie à l’instant où on décide d’une pause à l’ombre bienveillante d’un olivier biscornu ou bien d’un montjoie, petits monticules de cailloux qui jalonnent encore le chemin à destination des pèlerins. Le chemin de Compostelle, c’est le chemin de la vie, la vraie, faite de souffrances.
- NAJERA
Plus de gaz. Ce soir on mangera cru. Dans les récits où il est question d’êtres diabolisés, on raconte que les possédés absorbent uniquement de la nourriture crue. Celle-ci étant symboliquement caractéristique de l’animalité, de la possession, du Diable en soi.
- BURGOS
C’est un moine de la Chaise-Dieu, Aleaume, qui a fondé le grand hospice de Burgos. Burgos, c’est Bourges en espagnol. Ailleurs, les hospitalets et les hospices (tous lieux destinés à accueillir les pèlerins) ont pour certains été créés par d’anciens pèlerins, des templiers (comme à Jaca ou à Burnao), ou même des associations de pèlerins regroupés dans des organisations appelées confréries Saint-Jacques. L’une d’entre elles a subsisté jusqu’à aujourd’hui. On lui doit même un hôpital à Paris, l’hôpital Saint-Jacques.
- SAHAGUN
A Sahagun, les lances étincelantes de guerriers victorieux, plantées là, en alignement, pour glorifier le dieu des chrétiens, ont pris racine, se sont mis à verdoyer et forment une rangée d’arbres. Les végétaux qui nous font un peu d’ombre sont un cadeau du ciel mais n’empêchent pas notre gourde d’être souvent à sec. La soif oblige à une aumône des plus sobres et la quête de l’eau permet souvent les plus belles rencontres ; par l’attitude d’humilité qu’elle implique, demander la charité s’apparente à une prière. Les riverains d’aujourd’hui ne s’y trompent pas, « Qui vous reçoit me reçoit » proclame l’Evangile de saint Jacques. De fait, la tradition d’accueil orchestrée par leurs ancêtres n’est pas reniée et souvent quelques fruits du potager viennent compléter notre menu.
- Le saviez-vous ?
Un jour, un groupe de pèlerins se présente devant une passerelle dont le franchissement est rendu périlleux par la faute d’une forte crue. La situation empire et bientôt un embouteillage se crée. Des milliers de personnes sont bloquées et personne n’ose s’aventurer. Parmi les pèlerins, une jeune femme, Bone de Venise, portée par un courage qualifié de miraculeux, s’engage sur la passerelle, bras et yeux levés vers le ciel. Tout le monde passe ensuite. Leur témoignage a permis de canoniser Bone qui est aujourd’hui la patronne des hôtesses de l’air.
- LEON
Au cours des siècles, hospitalité et protection s’offrent aux pèlerins tout au long de leur longue pérégrination. Les moines de Cluny et de Cîteaux ont en charge leur accueil et l’entretien des chemins. Dans les hospices et les monastères de l’Aubrac, des Pyrénées ou des Landes, sur les hauts plateaux espagnols (régions redoutées), on s’efforce de partir à la rencontre des pèlerins égarés dans les brumes ou la nuit et l’on trouve même des volontaires pour faire un bout de route le lendemain matin. Contre la fatigue, on prescrit des bains chauds, on distribue des infusions de salsepareille, de ronce, de tilleul. Pour soigner les bronches, on sert de la menthe avec du miel, on applique des cataplasmes. Chaque hospice cultive un jardin de simples (herbes aux vertus médicinales) et possède ses recettes, ses pommades, ses tisanes.
Les particularités géographiques ou climatiques, les souffrances corporelles ne constituent pas les seules difficultés. La peur des bandits de grand chemin habite les pèlerins et les incite à rester grouper pour faire front. Au sortir de la guerre de Cent Ans, la misère a jeté sur les routes bon nombre de désœuvrés et de malheureux. Rapidement acquis à la cause du crime, des bandits aussi mobiles que cruels, les coquillards, perpétuent leurs crimes sur les axes fréquentés par les pèlerins. Hors de toute citoyenneté et portant une coquille en signe de reconnaissance, ils rodent à la recherche de larcins, avant de se détendre dans des tavernes et s’adonner à d’autres activités tout autant proscrites : jeux d’argent, beuverie, prostitution. Beaucoup finissent à la potence et c’est à cause d’eux que les pèlerins doivent désormais se doter d’attestations et de passeports. Une ordonnance de Philippe II (1590), interdit plus tard à quiconque de s’habiller en pèlerin s’il n’est pas en pèlerinage. Il ne peut désormais s’écarter de plus de quatre lieues du chemin. Un droit international franco-espagnol est même élaboré, se substituant aux réglementations locales, pour protéger les pèlerins et leur accorder des privilèges (exemption de péages par exemple).
- RABANAL DEL CAMINO
L’attrait pour Compostelle stimule le commerce tout au long du chemin. Avec le développement de l’économie monétaire, les Français viennent faire des affaires en Navarre et en Castille. Ils sont couteliers, tailleurs, cordonniers, aubergistes, changeurs de monnaie, artisans… Dans le sens inverse, le chemin conduit des négociants de Galice jusqu’en Champagne, ils vendent de la laine, des peaux, du blé et même des coquilles. Ils se chargent d’étoffes en retour. Même si le chemin est encombré de soldats, de mendiants, de paysans déracinés par la misère ou de vagabonds en maraude, tout un peuple assure sa subsistance par le commerce avec les pèlerins. Témoignage sur la vivacité des rencontres possibles, selon Christian Paultre (historien) :
« … les pèlerins se rendant à de nombreux pèlerinages, surtout à Saint-Jacques, vivaient d’aumônes. Les frères mendiants, les prêcheurs de toutes espèces allaient de ville en ville, prononçant devant les églises des discours passionnés ; d’autres spéculaient sur les mérites des saints du paradis ; les clercs se rendaient de couvent en couvent, apportant les nouvelles ; les étudiants rejoignaient leur université… Puis on rencontrait sur les routes des jongleurs, des diseurs de contes, des marchands d’animaux ; des soldats en congé ou rejoignant une armée, qui encombraient les chemins, côtoyant une multitude de mendiants… »
Les chevaliers de l’ordre de Santiago protégent les pèlerins à partir du XIIe siècle (depuis lors, en cas de problème, s’adresser plus simplement à la gendarmerie du district).
- VILLAFRANCA
A Villafranca, l’église Saint-Jacques offre à ceux qui s’y arrêtent à bout de forces, les mêmes privilèges que s’ils étaient parvenus au but ultime à Compostelle. Dieu leur accordera les mêmes indulgences et leur ouvrira béantes les portes du Paradis. Sur le chemin, les boiteux, bossus, tuberculeux et autres éclopés de la vie étaient plus nombreux que les biens portants, et si les récits de guérisons miraculeuses stimulaient les ardeurs, les cimetières du bord du camino francés sont pleins de ces pèlerins morts en route, mis en terre par leurs compagnons dans l’odeur des thyms et de brebis. C’est aussi parce que ces cimetières sont pleins que le chemin est resté vivant.
Le saviez-vous ?
Au XVIIIe siècle, les correcteurs d’imprimerie indiquaient une erreur en dessinant dans la marge un signe : petit cercle barré d’un trait vertical, qui ressemblait au bâton des pèlerins fichus d’une coquille Saint-Jacques. D’où le nom donné à une erreur de typographie : la coquille.
- TRIACASTELA
La marche à pied est un hommage à la lenteur, une manière d’assumer nos racines. Nos pieds buttent dans les pierres usées qui entravaient déjà la marche de nos prédécesseurs et la fatigue est la même. A cela s’ajoute la crasse, la vulnérabilité, et la peur qui sont les composantes intemporelles de l’humilité propre au pèlerin. Vertu et détachement des biens matériels de ce monde sont agréés par Dieu. La marche du pèlerin est une pénitence, une prière permanente (certains y ajoutaient le port d’une chaîne nouée autour des hanches ou cheminaient nus pieds). On sait dès le Moyen Âge que la dignité du pauvre, image du Christ souffrant, favorise le rapport à Dieu et permet d’atteindre le Paradis.
Certains pèlerins faisaient un crochet par Ovédio, capitale des Asturies, où se trouvent des reliques attractives (et désaltérantes) : pas moins que du lait de la vierge et du vin des noces de Cana. Par paresse, on se contentera d’un peu de lait de vache additionné de cacao en poudre. Le vin, on s’en passera, même si d’aucuns argumentent que c’est bon contre les courbatures.
- Le saviez-vous ?
Lorsque le 25 juillet, jour de la Saint-Jacques, tombe un dimanche, l’année est considérée comme « année sainte ». Une des portes de la cathédrale de Compostelle, la porte du Pardon, murée de pierres et de chaux, est alors dégagée à l’aide d’un marteau d’argent par l’archevêque. Elle restera ouverte pendant un an et ceux qui la franchiront bénéficieront de grâces et d’indulgences supplémentaires. Prochaine année sainte : 2010
En vagabondage depuis plus d’un mois, on n’a rien à se faire pardonner, depuis le Puy notre existence est d’une probité exemplaire. Marcher dans la campagne, le nez au vent, ou marcher vers Compostelle sont deux choses incomparables. La première vous offre une immersion dans la nature et à cela, la seconde ajoute une dimension mystique, une quête qui se dessine à mesure que la distance au but s’amenuise.
- PALAZ DE REI
Les aubergistes espagnols n’avaient pas la réputation d’être d’une scrupuleuse honnêteté. On les soupçonnait de mettre de l’eau dans les pichets de vin, d’utiliser des tonneaux à double fond pour servir un vin différent de celui qu’ils font goûter, d’utiliser de faux poids et mesures et de servir souvent des nourritures douteuses. L’expression « auberge espagnole » provient du fait que l’on ne pouvait être certain de ne pas se faire rouler, à moins de s’y nourrir de ce que l’on apportait.
- SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE
« Tant d’angélus / DING qui résonne / Et si en plus, DING, il n’y a personne ? » , se demande Alain Souchon. Ding, ding, dong, on aurait donc fait tout ça pour rien ? Pas question. Si Dieu est immanent, nous l’avons approché dans notre marche, forgé par l’effort à la fois musculaire et psychique. Si l’homme n’était pas capable d’inventer une intelligence et une force supérieure à la sienne, une détermination qui nous pousse vers les autres et vers des mythes que nos ancêtres nous ont légués, nous n’en serions pas là. Il y a eu trop de bonheurs et de souffrances partagés tout au long du sentier, trop de rencontres, pour ne pas avoir l’impression d’être entrés dans une lumière qui nous éclairera encore longtemps. Ceux qui l’ont fait pourront témoigner d’une candeur renouvelée et d’une aspiration à une vie plus simple. Ils auront, comme nous, perçu l’infini simplicité du bonheur terrestre, et témoigneront qu’il n’est pas de plus grande joie sur terre que de se voir offrir un verre d’eau après une marche torride.
Qui doit-on remercier pour ça ? Dieu ou nous-mêmes ? Les cloches de la tour Berenguela nous donnent raison et semblent ne pas se lasser de saluer notre arrivée ; la plus grosse est même capable de se faire entendre à près de vingt kilomètres. Il ne nous reste plus qu’à respecter les rituels, toucher le pilier central de la cathédrale et saluer les restes supposés de Jacques de Galice, Jacques le mystérieux, ce type incroyable qui a réussi à nous faire faire la plus belle virée de notre vie de piéton.
Pourquoi une coquille comme symbole ?
Sur les côtes de Galice, on raconte qu’un chevalier dont la monture s’est emballée fut précipité dans la mer. Apeuré, le chevalier invoqua saint Jacques et le cheval sortit de l’eau, couvert d’une multitude de coquillages plats, nervurés et larges comme la main. Dès lors, la coquille Saint-Jacques deviendra l’emblème de Compostelle, le symbole du pèlerinage. Traditionnellement, on la ramasse sur la plage du Padron, à l’endroit où la légende fit aborder la barque contenant les reliques de saint Jacques.
A noter que les pèlerins en provenance de Jérusalem rapportent comme symbole une branche de palme.
Notre pèlerinage n’est pas tout à fait terminé. Demain, nous irons (en bus ! la marche à pieds ça suffit !) à Padron, une plage près du cap Finisterre. Cette pointe que nos ancêtres ont longtemps cru être le bout du bout d’une terre supposée être « centre de l’univers », bordée par un océan au-delà duquel il n’y avait plus rien. On n’y trouvera pas seulement des stigmates du naufrage du pétrolier Prestige, mais aussi d’étonnantes carapaces de mollusques, appelés coquilles Saint-Jacques, cadeaux de la nature offerts en symbole, et conservés en souvenir par tous ceux qui ont franchi le premier pas vers Compostelle… par ceux qui sont convaincus, mais également par ceux qui, avant de juger, sauront que l’empathie ne se nourrit pas seulement de bienveillance. L’expérience commune permettant mieux que tout de comprendre ceux qui nous ont précédés, mais aussi d’apprécier l’autre, ce contemporain dont on ne comprend pas forcément les ferveurs et les croyances, mais avec qui l’on doit partager et non pas se battre.
Mon travail est disponible chez PEMF, BAYARD PRESS, MANGO, n’hesitez pas à visiter mon site et me contacter pour tous
Renseignement.
.
Tous les contenue Texte et photo présent sur ce blog sont bien évidement protégé par le dépos des œuvres à la BNF ainsi que par l’éditeur qui en possède l’exploitation pour une durée limité.Toute copie même partiel sans mon accord est donc interdite.