Livre MADAGASCAR aux editions PEMF

Livre photojournalisme Madagascar
Vous recherchez un véritable photographe? En France ou à l’étranger, un journaliste capable de retranscrire avec sensibilité et émotion vos évènement privés. Mariages, évènementiels, entreprises…Contactez moi grâce à mon site internet
Le temps et le mouvement, l’instant mobile et l’éternité immobile.
Le photographe en grand « quêteur », fixes des milliers d’instants constitutifs du temps…Perception, émotions, dans son cheminement , il extrait la quintessence de ce qui « structure » le mouvement, le sentiment, le suc, le nectar….l’émotion revisité.
Notre art est une forme de résistance face à l’inéluctable.
Les cyclone, très fréquents, arrivent par la côte EST de Madagascar avant de la traverser en perdant de leur intensité&. Mais ils se réactivent au contact des eaux chaudes du canal du Mozambique pour mieux s’attaquer aux côtes africaines ou obliquer leur route vers le Sud.
Le Mauritus, fier cargo frigorifique chargé de langoustes congelées, a quitté Saint-Denis de la Réunion avant hier et, depuis deux jours et demi, il navigue dans un brouillard chaud et déplaisant apporté par les alises. Je guette les côtes de Madagascar que nous devrions voir poindre, accoté sur l’avant, juché sur un tas de cordages poisseux dont l’odeur rappelle davantage la pétrochimie que l’iode marine de l’océan Indien. Depuis que nous avons pris la mer, une nausée chronique ne me quitte pas et malgré une navigation relativement calme, tout ce que je mange termine par dessus le bastingage. Le second me l’a dit : « contre le mal de mer, il n’y a qu’un seul remède : s’allonger une heure ou deux sous un pommier. » c’est donc sans espoir.
Pour l’instant, l’autre versant du monde tarde à me livrer ses secrets et l’essentiel est invisible pour les yeux. Je voudrais bien être Blaise Cendrars, jeter mes chaussures par-dessus bord pour rejoindre une côte à la nage…..
Mais rien n’apparaît, les seuls indices qui attentent de notre navigation dans les eaux malgaches sont ces vagues courtes et cette mer bleue (de chine) dans lesquelles s’ébattent quelques grands dauphins. Regarder l’ondulation des poissons qui jouent avec l’étrave me soulève le cœur. La plage que je guette désespérément mesure près de six cents kilomètres de long, elle tarde à se dessiner et reste chaudement planquée dans cette satanée brune venue du Sud-est. Ce serait pourtant bien le diable si je n’y trouve pas une petite place à l’ombre d’une essence locale, palmier , cocotier ou baobab pour m’allonger un moment et me réconcilier avec la nourriture.
Deux jours et deux nuits suspendu au bastingage ou accoudé à une cuvette de plastique, et puis, enfin, alors que je n’attends plus rien, le vent se lève, évince rapidement la brume et apporte une odeur qui ne m’est pas inconnue, un parfum de racines et de sol stable, de sources, de feux et de pêcheurs qui hissent des pirogues sur le sable : l’odeur de la terre. Loin devant notre proue, des formations nuageuses laissent passer des raie de soleil et le côte se devine enfin, basse et tapie, lueur rougeâtre et réconfortante, immense, fine et définitivement horizontale : l’île est à portée de jumelles et je m’appelle Amérigo Vespucci le temps d’un atterrissage. Le capitaine ajuste son cap et fonce à pleine machine vers le port de Toamasina. J’arrive à Madagascar le ventre vide mais quelque chose dans l’air me dit que j’en repartirai le cœur plein.
Je m’égare au milieu des ponts roulants et des engins de levage, esquive les transpalettes lancés à fond et tente parfois un mot d’excuse à l’adresse des travailleurs des quais.
Soudain, des hommes en uniforme blanc me saisissent par l’épaule et posent la main sur mes sacs : j’avais oublié que, même en arrivant par la mer, on ne se soustrait pas aux services des douanes.
Les douaniers passent tout en revue, notent mes destinations et finissent par accepter mon scénario.
Toutefois, avant de me rendre la liberté, ils me recommandent de toujours me déplacer en taxi la nuit et d’éviter les femmes, grandes consommatrices de vasa (touristes) Façon d’officialiser mes doutes : on m’avait bien dit que la prostitution masquée attirait pas mal de monde sur l’île.
Asie, Afrique : même combat, les distractions de certains vacanciers me donnent le sentiment d’avoir apporté avec moi une odeur de vomi.
Ce n’est pas qu’une impression, ces trois jours de bateau me laissent dans un drôle d’état.
Je n’ai qu’une urgence, rejoindre le centre-ville en taxi pour prendre une douche et remettre de l’ordre dans mes intestins. Le chauffeur, d’humeur blagueuse, annonce la couleur : vingt euros la course. Je propose en riant de le photographier pour mon livre sur le recordmans des prix abusifs, il m’offre un grand sourire guilleret, quelques incisives en moins. A deux euros, l’affaire est entendue. Nous voilà partis dans des rues défoncées, longeant des bâtisses délavées par la mousson, slalomant dans les rues entre les autres usagers à la nonchalance proverbiale, mélange de fatalisme et de décontraction extrême, le fameux Mora-Mora qui caractérise pas loin des 17 millions d’habitants de l’île.
- LE CANAL DES PANGALANES
Eddy est parti négocier pour moi un embarquement sur ces énormes pirogues à motorisées qui charrient hommes ou marchandises tout le long du canal des Pangalanes. J’attends.
La plage est belle et une baignade serait bien venue, mais le coin est réputé pour la pêche au requins.
Alors tant pis, je pique une tête dans l’eau chaude et claire du canal tout proche. Eddy arrive. Malgré la chaleur, il se met à courir à ma rencontre :
« départ demain vers 8 heures » m’annonce-t-il alors que je nage mollement, « sauf si tu restes là- dedans : c’est plein de crocodiles »
J’exécute mon plus beau crawl et m’arrache de l’eau à la vitesse de la lumière. Eddy est ébahi par mon inconséquence : « tu es dingue, il y des bestiaux de cinq mètres par ici ! »
J’aurais pu m’en douter : là où la végétation rassemble à un échelle nettement supérieure, tout ce qui poussait misérablement dans la serre de ma grand-mère contre force chaleur et humidité, on peut s’attendre à voir surgir la faune qui va avec.
Je quitte Toamasina, direction le Sud sur un chaland chargé de poutres de quinine – le trafic de bois est désespérant à Madagascar et la forêt n’en peut plus, mais il faut bien vivre de quelque chose….
La forêt malgache est à l’image de ses habitants : elle tente de survivre. Sur la centaine de kilomètres du parcours, je guette les reptiles, en vain, il paraît qu’on ne le voit que la nuit à cause de leurs yeux qui brillent.
L’expression « riche passé colonial » est devenue si tristement commune qu’on ne la remarque même plus, tant elle hante guides et prospectus touristiques. Madagascar n’y coupe pas. Quand on sait comment la quasi-totalité des pays d’’Afrique a souffert et ce que ‘l’afro-pessimisme » d’aujourd’hui doit aux traitements infligés par la colonisation(un tiers des enfants qui meurent aujourd’hui dans le monde est africain) il est honnêtement difficile de ressentir un quelconque émerveillement devant un bâtiment d’inspiration occidentale. Encore aujourd’hui, lorsque l’on entend parler de « politique d’aide et de coopération ».. dans un monde où rien n’est gratuit, mieux vaut se méfier.
Sont considérés comme des divinités par certaines tribus qui leur confèrent le pouvoir d’abriter les corps des chefs ancêtres.
Toute requête adressée aux dieux passe par les reptiles et un accord bilatéral a été conclu, chacun évitant de considérer l’autre comme une proie. Il arrive qu’un crocodile mange un humain et rompe le marché, alors la tribu chasse, tue et mange un crocodile.
En vertu de la convention, jamais les hommes ne tuent un crocodile sans raison.
- LE LEMURIEN à pratiquement disparu du reste du monde, mais a survécu, séquestré sur l’île grâce à l’absence de toute concurrence…. jusqu’à l’arrivée de l’homme. Aujourd’hui les lémuriens sont protégés , on les appelle les BABAKOTO, ce qui signifie « petits grand-père » et ils sont très populaires. Il y en a pour tous les goûts , depuis le petit Cheirogale, gros comme un écureuil, jusqu’à l’Indri qui pourrait « attraper un chapeau sur la tête d’un homme ». On en dénombre une trentaine d’espèces. Certains lémuriens sont nocturnes, d’autres diurnes. Certains vivent en groupe, d’autres préfèrent la solitude. Mammifères et frugivores, il leur arrivent q$aussi de manger des insectes. Le plus étonnant d’entre eux est le petit A ye-aye. Doté de puissantes incisives de rongeur et de doigts incroyablement longs et minces. Il recherche des vers oud des larves dans n’importe qu’elle cavité naturelle.
Parfois , nous touchons le fond car le bateau est lourd. Diego, le pilote armateur de cette péniche, enfant métis d ’ancêtres flibustiers, Corto Maltese plus vrai que vrai, bloque alors l’accélérateur à fond et s’arc-boute sur une perche ou se jette à l’eau tout habillé pour faire gîter la coque. On ralentit, ça finit par passer, Diego réintègre sa place souplement et prend une gorgée de tokagasy, un rhum artisanal local qui pourrait faire décoller une fusée. L’étrave reprend sa course au milieu des pirogues et autres engins flottants non identifiés, le moteur reprend sa musique lancinante et nous continuons notre lente progression.
Le soir, nous faisons étape dans un de ces innombrables villages posés entre les bords du canal et la forêt humide, entre orchidées et ravalinas ou sur cette fine frange de terre qui sépare le canal de la mer. Capitaine Diego qui connaît tout le monde , y a ses habitudes. On le reçoit bien en tout cas, une case toute propre, un repas de poisson , un brin de toilette et le voilà qui disparaît. Ah oui, j’oubliais : Diego à dix-huit enfants officiels, un dans chaque port, dit-il.
Quant à moi, ce soir je dors sur le bateau moustique, soigneusement planqué sous un filet à mailles resserrées – les mâchoire de ces insectes valent bien celles des crocodiles…
Le lendemain, Brickaville se rapproche, des ponts rouillés ou effondrés se succèdent et témoignent de l’état de décrépitude du canal. Sur les trois cents kilomètres creusés par des milliers de chinois au temps où l’île était une colonie française, seuls deux tiers restent aujourd’hui navigables.
- TANANARIVE
J’abandonne Diego à ses trafics et à ses femmes et j’emprunte un taxi-brousse pour gagner Tananarive.La sérénité du canal disparaît au premier virage.Neuf heures de pistes, assis sur un strapontin, une partie de mes bagages sur le genoux, l’autre qui se balance au-dessus des têtes. Ambiance classique de l’Afrique, poussière chaude et peau moite, tam-tam visuel des arbres qui défilent à travers le pare-brise fendu, chocs, secousses, corps qui se fondent dans le décors, temps arrêté et kilomètres infinis, interminables, abysses sans fin rythmés de plots rouges et blancs que l’on guette pour se persuader qu’on avance, que tout cela aura forcément une fins.
Voyager, c’est l’enfer – et l’enfer est pavé de nids de poules- l’esprit s’égare laborieusement, se liquéfie pour se séparer de son enveloppe, le regard se voile, sommeille ou bien rêve éveillé, on ne sait pas . Les pupilles reflètent le décor de brousse calcinée, de jungle, de jardins, d’hommes courbés çà et là sur la terre ocre rouge. La sueur coule dans les yeux sans qu’on ait la force d’y remédier quand, à la nuit tombée les freins lancent une plainte désespère, le moteur cesse son raffut dans un dernier sursaut d’auto-allumage et c’est la fin, la ville enfin l’envie reprend le pas sur la fatigue et la chaleur est de plomb. Les lumières de la cité scintillent, la lanière du sac scie l’épaule, il faut marcher maintenant, pénétrer cet ailleurs bruyant, fardé d’indices inconnus qui me tombent sur le coin de la figure et trouver un taxi, un toit, une paillasse, un verre d’eau. Dormir.
Un siècle plus tard, je découvre Tananarive. Un mélange de genres, synthèse des bas-fonds urbains de la planète, bidonvilles africains et asiatiques réunis où règne, paraît-il, un système de castes à l’indienne. Toits de tôles ondulés que surplombent une cathédrale et une enceinte royale, maisons de briques rouges ceintes d’un balcon de bois, constructions bon marché, rongées par le climat tropical, rincées par les pluies. Tana est une ville secrète qui égare son monde au gré des ruelles, terrasses et escaliers, la « cité de beauté » aux douze collines possède aussi une végétation fournie, bananiers, jacarandas, bambous, hibiscus ou bougainvilliers qui lui confèrent une ambiance particulière, donnent l’impression de déambuler dans un jardin squatté par deux millions de personnes. Un jardin ! que dis-je ? Une p épinière grouillante et polluée où , dans certains endroits, on patauge dans les eaux usées et les immondices, un espace en devenir encore englué dans son plasma et ses déjections, une beauté brute et grouillante d’humanité, de fleurs, d’enfants, d’animaux, de bruits, de chaleur…. – la vie quoi !
Je me déleste de mon sac de vêtements auprès des sœurs de la Trinité ; elles feront suivre. Elle m’ouvrent leurs portes sur une école qui accueille quelques orphelins : l’endroit est propret, presque trop, comparé à ce que j’ai vu dehors …..une sorte de vitrine de bonnes intentions. Le contraste est saisissant, presque décalé.
La Nationale 7 me conduit vers le Sud, je me prépare à voyager confortablement dans une Citroën de type AMI 8 break, millésime 1964. Dès la première heure, le chauffeur m’annonce « qu’en ce moment » la pédale de frein est molle. A Madagascar, il ne faut jamais s’opposer aux forces divines qui nous dépassent : conquérants, commerçants, missionnaires et légionnaires s’u sont cassé les dents. Mieux vaut adopter l’esprit Mora-Mora et ne pas contrarier les ancêtres. De fait, au long de la centaine de kilomètres d’un circuit pour le moins encombré qui sépare la capitale de Antsirabe ce sera une sorte d’hymne à l’esquive, une danse motorisée où le jeu consiste à anticiper sur tout ce qui bouge pour le croiser et le contourner sans que ça frotte. Du grand Art .
La maîtrise de la route n’empêche pas mon pilote de m’expliquer que le choses s’améliorent sur l’île depuis le départ du président Ratsiraka : le tourisme se développe et les investisseurs se bousculent, les Sud-Africains exploitent le Nikel, le Américains construisent des routes, le Français s’occupent de la téléphonie et puis il y a les diamants, les litchis, la vanille, le bois – parlons-en… l’homme est très optimiste, sa vision de l’avenir n’a d’égal que sa capacité à conduire sans frein, à n’utiliser le virage que lorsqu’il ne peut plus aller tout droit. Nous finissons en roue libre à Antsirabe, c’est tout juste s’il ne sort pas le pied pour arrêter la voiture. Pour repprendre les mots de Mao –Zédong, à Madagascar, au propre comme au figuré « l’avenir est radieux, mais la route est sinueuse ».
Justement aujourd’hui, c’est jour de marché, les posy-posy (pousse-pousse)grouillent dans la ville d’Antsirabe depuis que les Chinois sont venus ici construire la voie de chemin de fer qui la relie à la capitale. Mes papilles s’enflamment des odeurs d’épices qu’une pluie soudaine exalte, mes yeux se régalent de cette ville thermale, où il fait plutôt frisquet, de ce décor d’une autre époque aux avenues tracées entre les peupliers et bordées de pelouses.
- Une ruée désastreuse
Le sous-sol de Madagascar est très riche en produits miniers et en pierres précieuses et semi-précieuses. Mais cette richesse ne profite qu’à une petite poignée. On estime à quelque 100 millions d’euros par an la valeur de pierres précieuses et d’or sortant illicitement de l’île. Autrement dit, toutes ces richesses ne profitent pas au Malgaches, alors que le revenu moyen des Malgaches est parmi les plus bas du monde : 250 dollars par personne par an ! Pourtant, si ces richesses minières étaient gérées et exportées dans la légalité, les Malgaches n’auraient même pas besoin de payer d’impôts.
Et puis il y a ces sempiternels et magnifiques – c’est un point de vue personnel – chiens jaunes, bâtards au standard international que l’on ne croise que dans les régions les plus déshéritées, queue relevée, à longueur de journée au ras des murs et des poubelles, pissant plus souvent qu’à leur tour et s’enfuyant à toutes jambes pendant quelques mètres à la moindre alerte sans pour autant relever la truffe.
J’assiste à un combat de coqs, davantage une affaire d’hommes, un symbole du machisme et de l’honneur qu’un spectacle digne d’intérêt. Hormis quelques variantes dans le rituels de préparation ou le choix de l’animal, coq, chien ou buffle, des duels à des fins spéculatives qui opposent des animaux se pratiquent tout autour de la planète depuis les sous-sols du Bronx jusqu’aux îles les plus septentrionale. Seul change le nom de la monnaie qui sert aux enjeux, partout la passion qui s’empare des spectateurs frôle l’hystérie. La règle est immuable, le combat s’achève par la mort. Ici, un des deux protagonistes finira rôti, l’autre pourra continuer à réveiller son monde demain matin.
Je continue ma descente pers le Sud, en minibus japonais pour changer. Quelque 230 kilomètres à parcourir soit 6 heures de taxi-brousse pour atteindre enfin Fianarantsoa. A Mada, il est préférable de mesurer les distances en temps plutôt qu’en kilomètres……
- FIANARANTSOA
FIANARANTSOA , capitale du Betsileo
Fianarantsoa , littéralement la ville où on apprend le bien, 180 000 habitants, est une ancienne cité royale fondée en 1830 .
Vers le XIX émet la ville connut un réel essor grâce à l’installation des missions religieuses. Son développement se poursuivit lors de la colonisation française, avec la construction de nombreux bâtiments (hôpitaux, écoles, casernes) et l’installation de compagnie commerciales. Capitale du vin et grenier à riz du Betsileo, Fianarantsoa est blottie dans des forêts d’eucalyptus à 1 100 mètres d’altitude.
Le nom des Betsileo – en malagasy : les nombreux invincibles – est né au XIII ème siècle, lors de la guerre contre les Vazimba, habitants les plus anciens de l’île.
Les Betsileo ont marqué le paysage par leurs rizières en terrasses. Mais, pour fertiliser leurs rizières, ils anéantissent leurs merveilleuses forêts d’eucalyptus par d’incessants incendies.
- ENTRE FIANA ET MANAKARA
A Fiana, je prends de bonne images et le train pour Manakare, une longue descente ferroviaire depuis l’épine dorsale de Madagascar, les hauts plateaux, pays des Betsileo où domine la forêt tropicale humide, jusqu’au littoral à la végétation bien différente, faite de ravenalas et de palmiers où m’attendent les Antaimoros (unes des dix-huit ethnies qui composent le pays).
Bien sûr, mon train n’a rien à voir avec le TGV atlantique. Il est vrai que, pour l’équivalent de 7 euros, on en pour son argent :
On annonce 163 kilomètres en 12 heures, le recors reste à battre. Ici, la SNCF s’appelle RNCFM (Réseau National du Chemin de FER Malgache° et les 1020 km de rails, en tout et pour tout, datent de l’époque coloniale. Ils servaient exclusivement à acheminer des matières premières vers les ports en direction de la France.
Les trois wagons qui forment le convoi de la figne Fianarantsoa-côte Est proviennent d divers pays d’Europe, les rails constituent une partie de la dette de guerre allemande (celle de 1914) la locomotive va bientôt fêter son jubilée et le tout permet de désenclaver le centre du pays, de drainer les productions agricoles jusqu’à la mer ou jusqu’aux marchés qui ponctuent le parcours, mais aussi de faire la joie des touristes qui, comme moi, raffolent de ce voyage à l’ancienne.
Après un départ dont l’horaire n’a qu’un rapport lointain avec la notion de ponctualité, la locomotive diesel nous entraîne centre orchidées et fougères géantes, jasmins, mimosas, cascades, plantations de thé ou de bananes et même des vignobles, nous enchante les yeux et les narines avant de tenter de nous tuer par asphyxies dans un des nombreux (et obscures) tunnels qui ponctuent le parcours et à la sortie desquels tout le monde se précipite aux fenêtres ou aux portes, pour respirer.
C’est le moment que choisira le train pour enjamber un enchevêtrement de poutrelles métalliques rouillées et grinçantes qu’en d’autres lieux on appelle un pont et sous lequel un rapide gronde. Pas le temps d’avoir peur que déjà on replonge dans le paradis vert….jusqu’au prochain tunnel.
A chaque arrêt, une ambiance badine embrase les quais, les marchandises sont déchargées, d’autres prennent leur place, les paniers de bananes encore verte jonchent le sol, terminent leur maturation entassées le long des murs.
Les malgaches sont partout, ça crie, ça s’interpelle, ça rigole, ça siffle… entre les mains circulent toutes sortes de produits : cigarette, fruits, boissons, émeraudes (de la même couleur que la végétation) . Le quai respire, se garnit et se vide… Les ventres se remplissent. Un bœuf au gingembre accompagné d’une bonne plâtrée de riz servis dans une baraque de planches calme ma faim, je prendrai le dessert à la prochaine gare, le café à la suivante.
Dix-huit heures plus loin – il y a eu des impondérables ! –Mon reportage commence à prendre forme, encore que je n’en verrais les images que dans 6 mois à l’agence; l’océan Indien est enfin à portée de main; un dernier couinement de frein et Manakara s’offre aux voyageurs. La ronde des cyclo-pousse s’empare des hommes et de marchandises et lentement le lieu retrouve un calme relatif. Le machiniste s’affaire autour de la motrice encore puante et chaude, expédie de la graisse sous pression dans les essieux fatigués et passe un coup de chiffon sur le pare-brise avant d’aller dormir. Demain, le train repartira dans l’autre sens. En principe, départ 7 h 30, rajouter une ou deux heures de voyage supplémentaires – dans ce sent là, ça monte… Prévoir large.
Sac sur l’épaule, je hèle un taxi et reprends ma transhumance inutile. Je voyage parce qu’ à défaut de pouvoir changer le monde, je peux changer d’endroit. Je repars, direction l’Ouest l’autre rive et le canal du Mozambique. J’emprunte tout ce qui à des roues : train, pos-pos, char à zébu, camion, 4 X 4…parfois les roues n’en peuvent plus et, puisqu’il s’agit de passer une zone boueuse ou un rivière en crue, les jambes des hommes pallient le manque de motricité. Tout autour, j’observe : la terre rouge malgache, les variations de lumière, les habitations de torchis, les forêts de conifères, d’eucalyptus, les rizières ou les reliefs granitiques…… ce pays est beau, simplement. A mesure que l’on descend des plateaux, le paysage devient aride et minéral. A proximité d’Ambalvao, à droite de la Route Nationale 7, se dressent deux protubérances géologiques : « la porte du Sud », nous entrons en pays Bara, transition entre les hautes terres et le Sud. Changement de décor et d’échelle, la savane herbeuse du plateau de l’Horombe remplace bientôt les collines verdoyantes et s’étend devant moi à l’infini.
Seuls mouvements, l’ahidomba (l’herbe à sanglier dont se nourrissent les zébus) qui roule sous le vent tiède et les dandinements d’une Super Goélette Saviem chargée de bagages poussiéreux et de quelques Européens aux visages cramoisis et à la gorge sèche. Au-delà, rien ne bouge, ni les zébus qui nous regardent passer, ni les quelques Bara postés devant leurs cases qui ponctuent çà et là notre trajectoire fiévreuse.
La ville gruyère, la fortune au fond du trou. Je travail comme un dingue depuis quelques semaine pou mon reportage; je fatigue donc u peu mais à 25 kilomètres après Ranohira, la route nationale devient rue piétonne, une ville nouvelle vient de naître suite à la découverte récente d’un gisement de saphir et la RN 7 en est devenue la rue principale. Les prospecteurs arrivent en masse, amenant femmes et enfants, ils ont quitté un quotidien sans illusion de la banlieue de Tananarive ou d’un village des hauts plateaux pour tenter leur chance dans ce Far West éphémères, grouillant d’une humanité fauchée. Les cabanes poussent comme des champignons après la pluie, et le village devenu ville s’étale autant en largeur qu’en profondeur.
Une mine de fond réduite : une pelle, une pioche, un seau, un tamis et une bougie pour un revenu largement supérieur au salaire moyen de l’ensemble du pays. Il y a aussi l’espoir de réussir un gros coup, de remonter une gemme qui apportera la richesse et la possibilité d’une reconversion dans une activité moins pénible. Il suffit de creuser un trou du diamètre d’un homme sur une profondeur de dix-huit mètres, parfois moins, parfois davantage. La latérite, sèche et friable, offre un passage relativement facile ; et lorsque l’on arrive à la couche de pierre, on file tout droit en frémissant à chaque coup de pioche. Les pierres sont conditionnées dans des sacs, remontées par un comparse puis acheminées jusqu’à la rivière.
Les adultes, souvent les femmes, et le enfants tamisent la terre. La qualité des pierres est très variable, la plus pure peut valoir plusieurs millions de francs malgaches (1 euro = 9 200 FMG), les plus petites quelques centaines… Parfois, tout s’écroule faute d’étayage des galeries et les espoirs sont enterrés vivants.
Claude, géologue français et expert en gemme pour le compte d’un grand négociant, me sert de guide. Le sous-sol malgache est très riche en saphirs, m’explique-t-il, mais aussi en rubis, émeraudes, améthystes, cristaux ou or… et même si le « miracle » Ilakaka (on prononce Ilakak) peut se reproduire, les principaux gisements ont été répertoriés dès le XIX ème siècle et constituent un potentiel de richesse que les décideurs de l’île entendent bien exploiter.
Claude travaille à Antsirabe, le super marché de la pierre. C’est là que converge la production d’Ilakaka ; Rubis, saphirs et émeraudes y sont taillés puis revendus. Les coloration, les éclats, transparences, usinages et polissages peuvent faire varier les prix de manière exponentielle. Une pièce brute n’a qu’une valeur relative que seuls les spécialistes peuvent estimer. Alors, comme les plus belles pierres sont prélevées à la source et que Noël approche, je me laisse tenter. Contre quinze euros, Claude me fait acheter deux cailloux que j’aurais facilement pris pour du gravier. Nous les faisons tailler et sertir d’argent dans un des ateliers pour le transformer en boucles d’oreilles, expertise et certificat fournis. Je le remercie mais il m’affirme que son rôle s’est limité à ce que je ne me fasse pas refiler de la camelote : les vendeurs sont légions et un bout de granit recouvert de Mercurochrome prend facilement l’apparence d’une améthyste… il me demande juste de témoigner à mon retour des marges abusives pratiquées par les intermédiaires entre Ilakaka et la bijouterie du coin de ma rue. – Voilà qui est fait.
Tout le malheur des hommes s’exprime dans ces pierres. A Ilakakak, on crève au fond d’un trou pour en extirper de quoi manger, et ailleurs, à New York ou bien à Paris, on se goberge devant des vitrines et le seul risque auquel on s’expose c’est d’être tenté de sortir sa carte de crédit Au-delà du décalage, je n’y vois rien d’autre qu’une forme d’assujettissement qui profite toujours aux mêmes.
Pour tout l’or du monde, je ne resterais pas à Ilakaka. Après une mauvaise nuit passée en compagnie d’un groupe de lapidaires ou prospecteurs asiatiques (les Malgaches creusent, les Sri Lankais et Thaïlandais s’occupent des transactions), dans une sorte d’hôtel dortoir bâti à la va-vite, je rejoins la gare routière au petit matin, soulagé d’avoir toujours mon portefeuille sur moi. Pas question de choisir son véhicule, la seule Peugeot qui corresponde à ma destination n’a plus rien à voir avec l’idée de confort bourgeois attachée au constructeur sochalien. A huit dans un taxi 504 familiale, la route promet d’être longue. Elle le sera… et joyeuse avec ça, l’autoradio martèle des succès du hit parade
Local que tout le monde reprend en cœur ou tambourine sur n’importe quoi. Heureusement le moteur rend l’âme avant mes oreilles et le staccato des bielles nous contrait à un arrêt en pleine fournaise.
Passé un moment de stupéfaction, le chauffeur me dit : « Ilakak ne veut pas te laisser partir, Vaza (étranger), tu devrais retourner tenter ta chance ».
Je décline l’idée et, comme à Madagascar la solidarité est une vertu naturelle, le conducteur d’une Renault 4L s’est arrêté et accepte de me prendre jusqu’à Tuléar, moyennant le partage des frais d’essence. L e confort d’une place à l’avant ne se refuse pas et, comble de luxe, mon chauffeur d ’un jour extirpe d’une glacière posée sur la banquette arrière une THB (bière locale) presque fraîche.
- SUR LA ROUTE
Nous passons Sakaraha, coude à la portière sans même ralentir, snobant des bâtiments destinés aux business de gemmes et attaquons la partie la plus détériorée du parcours. La lumière décline tandis que nous zigzaguons entre les ornières dans la savane arborée. Je découvre mes premiers baobabs et aperçois les premiers tombeaux Bara. A Madagascar, ceux qui sont partis dans l’au-delà n’ont qu’une avance de temps, car notre route est commune. Alors on fait comme si les morts n’étaient pas morts ; l’âme des razanas (ancêtres) reste vivante et rien n’est trop beau pour leur témoigner un culte à hauteur de leur rang. La sépulture d’un éleveur témoigne de son prestige passé, la quantité de cornes de zébus plantée sur sa tombe certifie la taille de son cheptel. Il fut même une époque où tout le troupeau était sacrifié à la mort de son propriétaire.
La Nationale 7 est tantôt goudronnée, tantôt pas, le pire ce sont les portions recouvertes d’un bitumage ancien. La route est entrecoupée de pistes, de points plus ou moins flottants, plus ou moins sur la carte. Aux alentours, les hauts plateaux offrent des paysages de cultures à perte de vue mais aussi des hectares de campagne incendiée pour permettre l’implantation de tavy (riziculture pluviale) ou la création de pâturages.
La destruction de la forêt par le feu est un véritable fléau inscrit dans les habitudes des villageois persuadés que la végétation qui repoussera sera plus riche en nutriments. C’est vrai la première année, faux au-delà, les zébus s’en iront paître plus loin et le rendement du riz sera moindre. On ne peut pas reprocher pour autant aux Malgaches d’utiliser cette manne verte, il leur faut bien se chauffer, faire la cuisine, nourrir leurs troupeaux et trouver du bois de construction. La forêt qui couvrait la quasi-totalité de l’île est réduite à un quart dont on estime qu’un tiers est brûlé ou rebrûlé chaque année.
Entre les halots jaunâtres des phares et la lueur du soleil qui rougit à l’aplomb du Tropique du Capricorne, au détour de la piste chaotique de cette Nationale que l’on croyait sans fin, des baobabs dressent leur arborescence en forme de racines au-dessus des champs de coton. Certains d’entre eux que les dieux ont planté tête en bas ont mille ans et autant de litres d’eau dans leur fût en forme de bouteille. Le disque de bronze du soleil couchant sur le canal du Mozambique irradie le pare-brise et fait un écho lumineux à la lune rouge qui émerge de terre dans la lunette arrière. Deux Kodachromes –‘ SUFFIRONT 0 PEINE 0 CALMER MON EXALTATION ; Je quitte la 4L.
- TULEAR
« Que les ancêtres te bénissent et protègent ta route », me lance mon compagnon de voyage tandis que je m’applique à tenter d’enclencher la serrure de la portière fatiguée. Tuléar m’offre sa nuit mais je n’ai pas sommeil. Il fait doux, j’ai envie de civilisation, de bruit et de rythme… Direction le Zaza-club, ambiance de plage et bord de mer, de vacances aux Antilles, la musique est tonitruante et les visages qui bougent sous des guirlandes d’ampoules de 40 watts (une puissance maximum constante dans les régions aux installations électriques précaires) sont hâlés. Les sourires sont dorés et les cheveux tressés ou ornés de perles. Une nuit réparatrice m’aurait fait du bien mais le patron me fait déjà goûter son cocktail maison , alors le sommeil attendra.
Après quelques heures et autant de verres, je traîne mes tongs sur le marché. Cette nuit sans dormir, ces repas sautés par manque d’appétit ou d’aliments, ces pérégrinations belles mais inconfortables, commencent à laisser des traces. Je grimpe sur un pèse-bananes : 90 kilos tout rond ! 15 de plus qu’avant mon départ. La balance appartient à un acheteur, tout s’explique…Alentour, sur les étals s’aligne le produit d’une culture maraîchère minable, le maigre butin d’un pauvre lopin de terre.
Le Sud manque cruellement d’eau alors que le versant Est reste noyé. Qu’importe, ce peuple manque de tout, mais garde le sourire vaille que vaille, sa gentillesse proverbiale se d éverse comme un torrent qui ne craint aucune sécheresse.
J’ai les cheveux sur le épaules et, malgré la présence des minarets de la mosquée (à Madagascar, toutes les villes portuaires possèdent une importante communauté musulmane), les passants m’appellent Jésus. J’ai toute la journée devant moi et la coiffeuse a un superbe décolleté, elle me plaque la nuque entre les seins, j’ai chaud aux oreilles. Je lui demanderais bien de raccourcir encore un peu, c’est si bon d’être ici, au chaud, le soleil au zénith.
Les pêcheurs Vezo sont une curiosité locale, sous-groupe ethnique des Sakalava, sans doute d’origine sud-africaine. Pêcheurs nomades sur des pirogues à balancier aux tonalités vivantes, ils vivent à l’année dans des cahutes de palmes posées sur des plages couleur ivoire. Musclés et joyeux comme une équipe de beach volley, il n’en fallait pas tant pour s’attirer des cohortes d’ethno-touristes ébahis de traverser le lagon en pirogue à voile ou de photographier d’authentiques requins capturés au harpon.
En descendant plus encore vers le Sud par une piste ensablée et oubliée, je débarque dans un village de pêcheurs qui me voient m’extirper du bush épineux jouxtant la plage – ils n’auraient pas été plus surpris de me voir débarquer marchant sur l’eau. D’emblée, la curiosité, c’est moi et la découverte sera mutuelle, on jette une natte dans une case toute simple et on réussit à me dégoter une bougie. Pour me sustenter, on me fournit d’autorité un bol de crevettes au riz et des bananes et on me regarde manger. Il sont une centaine à vivre ensemble, regroupés par famille dans des cases entourées d’enclos sommaires. Et les enfants sont partout. Pas d’autre école que la mer et les poissons, pas d’autres besoins que de savoir manier une pirogue et capturer de quoi vivre….. et si la pêche de demain est à l’image du taux de natalité de cette petite communauté, les filets pèseront lourd.
- ANAKAO
Isolé de Tuléar par d’impraticables pistes sablonneuses, mais facilement accessible en bateau, Anakao, 3 000 habitants, est un haut lieu des pêcheurs Vezo du Sud-ouest malgache. Véritable nomades de la mer, cabotant avec leurs pirogues à balanciers, ce peuple bivouaque le long des plages, utilisant leurs voiles qu’ils transforment ensuite en tente.
Ancien carrefour du trafic d’esclavage, Anakao, écrasé de soleil, est posé entre ciel et mer, face à l’îlot inhabité de Nosy Vé qui apparaît tel un mirage. Sans source, les habitants doivent creuser d’énormes entonnoirs dans les dunes de sable. Pour remplir leur seau, les femmes et les fillettes écrèment avec des bols la pellicule d’eau douce, en ayant soin de ne pas aller profondément sinon l’eau devient très rapidement salée.
Le tranquille ressac des vagues, la course brûlante du soleil, les phases de la lune sont les seuls marqueurs de temps sur lesquels se calquent les rythmes Vezo. Au bout de quelques journées à glaner des coquillages, à aider à pousser les pirogues, à jouer avec la multitude d’enfants, j’en oublie quel jour nous sommes. Les vieillards avec qui je sirote un thé sous un abri de feuilles de palme m’apprennent que les esprits nous suivent : vents favorables et poissons ne sont pas le fruit du hasard. Alors, la mer couleur lapis-lazuli et les pirogues colorées finissent par avoir raison de ma trouille du requin.
Je décide de m’embarquer pour cette petite langue de sable posée sur l’horizon comme une invitation : Sarodrano.
Justement les vents sont favorables. J ‘emballe mon matériel dans des sacs que j’espère étanches et pars pour de longs bords dans une pirogue à balancier ; navigation rapide dans une réverbération aveuglante pendant laquelle j’observe le système de propulsion du bateau. Un balancier sur le coté pour créer un appui sous le vent, un mât central comme sur un prao de Malaisie, on avance vers le lit du vent et, à chaque virement de bord ; l’arrière devient l’avant, la voile vire à 180 degrés, l’équipage pivote sur ses talons et ça repart dans l’autre sens. Même les dauphins, d’ordinaire si intelligents, bondissent autour de nous sans rien y comprendre. Peu importe, ça marche plutôt bien et le Tsiokatsimo (vent du Sud) nous entraîne à bonne allure. Le soleil n’est plus qu’un disque rougeoyant quand nous atterrissons.
- SARODRANO
Sarodrano : une vingtaine de huttes posées sur le sable entre la mer et la mangrove. C’est l’heure de la sieste et la place semble abandonnée au vent, au sable et aux enfants, nombreux là aussi. Je m’allonge à l’ombre avec mon piroguier pour nous reposer et nous sommes réveillés par des cris de joie et des chants qui accompagnent le retour des pirogues de pêcheurs. La journée a été fructueuses : huit requins marteau, quatre requins tigre, une tortue et pas mal de thons, de poulpes ou d’anchois. On aligne les prises sur la plage et, pour nous remercier d’avoir apporté la chance avec nous, on festoiera ce soir : bière, musique, poissons et malheureusement invasion de moustiques qui se régalent de mes coups de soleil. Faute de moustiquaire, je me débats toute la nuit. Au petit matin, les bourdonnements (et les piqûres) cessent, le halo de la pleine lune, les bruissements des feuillages, le lent ressac de l’océan bercent mon demi-sommeil. La nuit a été courte, qu’importe, aujourd’hui : pêche. Auparavant, un onguent mystérieux, mélange végétal issu de la pharmacopée locale, atténuera les déja causées par les insectes. En revanche, contre les coups de soleil, on m’offre une sorte d’ombrelle faite de palmes. Ici comme ailleurs, rien ne vaut la prévention.
Les Vezo, nés de l’accouplement de la mer et du vent, ont fini par me prendre dans leur nasse. La lune aura traversé toutes ses phases avant que je ne me décide à reprendre ma route. Je sais maintenant manœuvrer une pirogue, pêcher à la palangrotte (ligne plombée, du moins, c’est le nom qu’on lui donne du côté de Marseille !), fumer le poisson et rester plusieurs minutes en apnée à observer le décor d’aquarium des zones coralliennes. Et puis les moustiques ont fini par se dégoûter de mon épiderme devenu aussi tanné qu’une peaux de crocodile. Il paraît que « vézo » signifie pagayeur, alors c’est à grands coups de rames, faute de vent, que je me fais raccompagner à Tuléar. Les quelques touristes en visite commentée sur les quais semble se demander à quel cérémonial ils assistent. Une espèce de Robinson, torse nu, cheveux tressés, portant collier de coquillages et bracelet de sisal , recevant moult effusions d’adieux de la part d’authentiques autochtones.
Plus tard, unique passager du vol Air Mada Tuléar-Tananarive, je me déplace d’un hublot à l’autre pour apercevoir les pirogues de mes amis glisser sur l’eau comme le contenu d’une boîte de crayons de couleur dispersés dans un bain d’encre indigo. J’ai promis de revenir, mais à Madagascar, les promesses comme le bruit des avions au décollage ne réveillent pas les tireurs de posy-posy endormis sur leur machine, on sait aussi que la graine du baobab est toute petite et donne un arbre remarquable, tout est une question de patience, de Mora-Mora, alors pourquoi pas….
Aux édition PEMF
texte de Hervé Giraud
Photographie de jean-charles Rey